Croisière au temps du Coronavirus

 

Je suis Marie, la fille d’Hubert. Je suis venue passer, avec mon mec Louis,  une semaine sur Perfect Day à partir du 6 mars. Nous sommes ici depuis 13 jours, et espérons rentrer à Paris vendredi.

Voici notre histoire.

6 MARS

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Au premier plan English Harbour et Falmouth derrière

On débarque à English Harbour, Antigua, depuis NY avec nos valises, nos doudounes et nos pulls en laine par 40 degrés. Après un vol étrange où les gens désinfectent leurs sièges et se couvrent le visage avec leur masque, regardant suspicieusement chaque personne qui tousse, on est ravis d’arriver sur un territoire relativement épargné.

On se charge d’un ravitaillement basique : 2 grosses langoustes, 72 Heineken et 72 Corona et on se fait un apéro au ti-punch, ce qui nous envoie bien vite au lit.

7 MARS

Départ vers Carlisle Bay et première baignade. Mouillage assez rouleur qui nous décide à aller dormir à Jolly Harbour.

Comme tous les jours, Louis dessine des heures les dessins préparatoires de ses toiles:

Jolly Harbour, un chenal Miami-esque bordé de maisons en kit qui se ressemblent toutes, un gros port de plaisance plein de catamarans de locations, un grand complexe hôtelier abandonné : mi-château mi-villa sur la riviera, mais probablement construit en 1982, et un chapelet de restos, snacks et bars pour touristes américains à la recherche de rhum et jus colorés à siroter toute la journée.

Après un dîner légèrement gâché par une sorte de Barry White discount chantant à plein volume, nous regagnons le bateau, bien décidés à ne pas s’attarder.

8 MARS

Départ vers Barbuda.

Capitaine Hubert est ravi de faire sa traversée sous code 0 (sa voile préférée) avec un joli vent de travers à 12 nœuds, faiblissant à 8.

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A 30 minutes de l’arrivée, on aperçoit le dos pointu d’une grosse bête : une baleine nous suit pendant 15 bonnes minutes et sort de l’eau à plusieurs reprises. On est tous sur le pont à essayer de la repérer et à crier comme des gosses quand elle sort.

Arrivée à Cocoa Bay. On découvre le jeu préféré des plaisanciers : regarder les bateaux voisins qui mouillent avec un œil suspicieux, mains sur les hanches ou placées en visière pour mieux voir ce qui ne convient pas. Les canadiens à côté de nous nous regardent tellement mal que l’on se déplace de 100m. Bientôt ce sera notre tour de shamer les voisins sur leur technique de mouillage douteuse (parfois, on se fait des coucous sympas aussi).

9 MARS

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Barbuda – Cocoa Beach est sans nul doute la plus belle plage que j’ai jamais vue. Une langue de sable fin et blanc, quelques palmiers, une eau turquoise, une petite guinguette mignonne où on peut commander des langoustes, et plein de tortues qui nagent autour de nous (Nat et mon père sont un peu blasés des tortues et vont jusqu’à les appeler « les vaches de la mer », je pense que cela fait trop longtemps qu’ils n’ont pas vu de vaches).

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La houle se lève. On va boire du jus d’ananas et chercher des langoustes au bar sur la plage, le mec n’est pas surpris : « The French people love the langouste ». La houle renverse l’annexe de nos voisins Alex & Jessica sur Télémaque, le moteur prend l’eau. La houle détache l’ancre d’un bateau au milieu de la baie qui se met à ripper vers le large, capitaine grognon et femme paniquée à bord, aidés bientôt de 4 annexes -dont la nôtre. La houle nous empêche de dormir, même dans le carré au pied du mât.

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10 MARS

Réveil compliqué à bord. Comme Barbuda est au milieu de la houle et l’île la plus plate de la terre, on est abrités nulle part. On repart vers Antigua.

Précision utile avant de continuer, la bible à bord est le livre d’un certain Jacques Pathueli – dit Jacquot – qui a répertorié tous les mouillages des Antilles avec cartes détaillées et commentaires à l’appui. Le Pathueli nous sert à chercher chaque matin notre prochain point de chute.

Aujourd’hui, sur recommandation de Jacquot, nous nous dirigeons vers le « joli petit port de pêche désuet » de Parham Harbour. Dans une baie entre l’aéroport d’Antigua, un carénage plein d’épaves rouillées et des usines aux cheminées fumantes, nous débarquons à l’ancien marché de poissons de Parham : un mélange entre Détroit et la Goutte d’Or, version miniature. Marché abandonné, épiceries vides, vieilles affiches décolorées, chiens et poules errants, mecs assoupis contre des arbres, bicoques tordues et jardins-déchetteries : un avant-goût de la fin du monde.

On repart assez rapidement, sans avoir trouvé notre Saint Graal : de la data que l’on paye au prix d’or (30 balles les 3 gigas) et sans laquelle mon mec devient assez rapidement irascible.

En traversant la baie dans l’autre sens, notre quille s’enlise doucement à une vitesse de 2 nœuds dans une vase molle de quelques centimètres : on a failli s’échouer dans la baie la moins sexy du monde.

On finit la journée à Jimby Bay, face à un resort magnifique à qui on vole le wifi, à défaut de pouvoir y boire un coup. Je vous laisse imaginer les 4 français tout salés, à 10m de la plage, debout au pied du mât avec leurs téléphones en quête d’un peu d’instagram.

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J’ai du Wifi, là !!!!

11 MARS

Départ pour Green Island.

Vent un peu contre nous. Ayai, un bateau déjà croisé précédemment avec 5 anglaises sexagénaires à bord, nous rattrapent. Notre capitaine, mécontent de sa défaite, en est réduit à se vanter d’avoir mis une raclée à une cata de loc.

On arrive à se faire livrer des œufs, de la data (Allelluia) et des langoustes par un charmant Devon. Dernières langoustes pour nous car à bord, ça frôle l’overdose (pas moi, je ne me lasse pas des bonnes choses, mais vous avez compris que je suis entourée de blasés à bord).

On apprend avant de se coucher que Trump ferme les frontières des USA aux étrangers ayant séjourné en Europe. Comme on doit repasser par NY pour rentrer à Paris, ça tombe vraiment bien.

12 MARS

Départ pour Fallmouth.

La règle de Trump se précise, il faudrait ne pas avoir séjourné en Europe dans les 14 derniers jours pour pouvoir rentrer aux US. Ça fait pile poil 15 jours pour nous. On va avoir chaud à l’aéroport.

13 MARS

Réveil à Fallmouth et toujours plus d’angoisse concernant notre retour. Trump déclare l’état d’urgence.

On va sur la jolie plage se baigner mais on passe aussi une bonne partie de la journée au super marché du coin pour squatter le wifi en mangeant des esquimaux au fruit de la passion. On commence à envisager de ne pas rentrer. Nos journées sont maintenant rythmées par les actualités et les appels reçus de France.

Recommandation touristique : le resto Catherine’s Café, planqué derrière la petite plage, est vraiment top. Excellents cocktails et tarte tatin à la pêche avec glace au thym.

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14 MARS

Annulation de nos billets pour Paris via NY, formalités de douane, dernières courses et départ pour la Guadeloupe, avec le sentiment étrange d’avoir fait une bêtise en laissant l’avion partir sans nous.

C’est marrant mais notre premier réflexe, dans cette situation qui dégénère à une vitesse exponentielle, est d’aller se réfugier en France. Mère patrie qu’on imagine rassurante et protectrice.

Les boutiques et restaurants ont ordre de fermer pour une durée indéterminée : cri du cygne pour les commerçants, serveurs, cuisiniers autours de nous.

44 milles de traversée plus tard, on arrive à Deeshaies, Guadeloupe. On précise les contours du rivage quand tous nos téléphones se mettent à vibrer, ravis de retrouver leurs réseaux familiers.

Arrivés dans la baie, nous sommes accueillis par un gros dauphin rieur qui joue avec la proue du bateau et nous montre son ventre comme un chien qui réclame des gratouilles. Hubert va nager avec lui, moment magique.

15 MARS

Même si les gens continuent à faire la queue, collés les uns aux autres, les restos ici aussi sont fermés. C’est la France.

Notre journée est rythmée par les nouvelles venues de France. On s’inquiète de chiffres, du confinement à venir, des gens qui continuent à trainer dehors comme si de rien n’était sur leurs stories insta, de notre retour en France…

La baie est pleine de poissons, de tortues et de minuscules méduses transparentes qui nous découragent de faire de trop longues excursions snorkelling.

16 MARS

Courses à Deshaies où le coronavirus ne semble pas exister. On fait le plein de M&Ms et de comté au Casino. Un monsieur vend de jolis fruits sur le bord de la route. On achète 10 baguettes à la bonne boulangerie.

On se dirige vers la baie de Barques avec dans l’idée d’aller aux Saintes demain.

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On écoute tous très attentivement le discours de Macron pendant la traversée, volume à fond en pleine mer. Il semblerait que nous puissions rentrer chez nous vendredi (date à laquelle nous avons pris un nouveau vol). Un confinement est décidé. Nous sommes de toute façon confinés sur le bateau.

17 MARS

On se fait jeter des Saintes, où aucun nouveau bateau n’est plus accueilli (et tous les bateaux sont invités à quitter l’ile dans les 3 jours). On saura plus tard qu’un cas de coronavirus s’est déclaré et qu’ils n’ont aucune infrastructure médicale.

On retourne sur l’île principale, direction le Gosier, avec une légère angoisse de se faire jeter ici aussi et de devoir errer interminablement. Nat et Hubert reçoivent beaucoup d’histoires de voiliers refusés à l’arrivée de longues traversées, de ports qui se ferment et de tests médicaux à l’arrivée dans certaines marinas.

On se pose au Gosier, avec une quarantaine de bateaux.

18 MARS

C’est ici que nous sommes aujourd’hui. Mon mec et moi en attente de notre vol pour aller se confiner dans notre appartement parisien. Nath et Hubert en attente d’infos sur la possibilité de quitter la zone cyclonique avant l’arrivée des cyclones, mi-Juin.

L’ambiance a bien changé en 12 jours.

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Temps mitigé sur Falmouth (Antigua)

A bientôt,

Marie

4 réflexions sur “Croisière au temps du Coronavirus

  1. Merci pour ce récit très vivant et ces belles photos… le blog reprend vie, chouette! Toutes ces langoustes nous mettent l’eau à la bouche, sans parler des ti punchs sur la plage. Mais étrange de voir comment le Covid19 produit autant d’effets dans ces îles lointaines de l’arc antillais. Stay safe my friends

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  2. Bonjour, Merci pour ces nouvelles, on pensait bien à vous dans ces circonstances particulières. Ici, la vie s’est arrêtée, on organise le travail et le quotidien en fonction du confinement. Donnez-nous des nouvelles, bisous

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  3. Coucou les amis
    Merci Marie pour ce reportage photos très descriptif ! J’espère que vous avez pu regagner Paris sans souci !
    Pour Hubert et Nat :
    Nous étions inquiets, avec Maxime, de savoir quels seraient vos prochaines étapes possibles avec le CORONAVIRUS .
    Notre confinement, à deux, est agréable dans notre maison de Genas et Maxime travaillote au cabinet , pour le moment notre colonel n’a pas été réquisitionné par les pompiers mais il n’attend que ça ! Il trépigne 😉
    Toute notre famille va bien pour le moment
    Nous pensons fort à vous et nous vous embrassons tendrement
    Maxime et Virginie

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  4. 👏👏 Bravo Marie pour ce merveilleux reportage et nous sentons bien la montée de s complications face au Corona virus
    Nous espérons que Marie et son ami sont bien rentrés à Paris.
    Nous pensons bien à vous
    Nous vous assurons de toute notre amitié
    Tendrement
    Maxime et Virginie

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